A Katafygi, des communautés locales s'engagent

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source : Wikipedia
Les efforts pour s'attaquer aux problèmes environnementaux mettent souvent en évidence leurs causes réelles, directement liées aux choix économiques et politiques.

Afin de remédier à la dégradation provoquée par ces problèmes, la structure des communautés locales et leur degré d'autonomisation jouent un rôle important.

L'un de ces problèmes environnementaux majeurs est la gestion des déchets. En Grèce, le problème de la gestion des déchets solides reste insoluble à ce jour. Dans la plupart des cas, les pratiques appliquées sont leur dépôt dans des décharges non contrôlées ou dans des décharges contrôlées.

Depuis de nombreuses années, l'incinération des déchets, afin de réduire leur volume, est devenue une pratique courante dans la majeure partie de la Grèce. Les dioxines dégagées sont responsables de divers types de cancer, de diabète, de maladies cardiovasculaires, etc.

Pour faire face à ce problème, il y a eu des réactions organisées de la part de groupes de résidents des communautés proches des décharges (des groupes petits ou plus grands), à différents moments, dans de nombreuses régions du pays. Les résidents sont généralement préoccupés par la dégradation de l'environnement naturel, de la santé publique et de leurs biens.

En même temps, les résidents protestataires soulèvent des questions telles que l'égalité, la justice et le manque de confiance envers les représentants de l'État. Cela s'est également produit dans le cas des habitants d'un petit village de l'île de Ikaria en 2008. Des caractéristiques de ce mouvement, telles que l'autonomisation, la collégialité et la revendication collective, sont visibles dans le descriptif qui suit.

Ikaria est une île de la mer Egée orientale à une superficie de 255 kilomètres carrés et une population d'environ 8000 habitants, connue pour ses stations thermales uniques dans le monde entier. Ikaria est aussi bien connue grâce à la légende d'Icare, selon laquelle, Ikare est tombé là-bas quand ses ailes ont fondu.

Sur l'île jusqu'en 2010, il y avait trois municipalités (Saint-Kirikos, Evdilos et Raches) qui ont par la suite fusionnées en une seule, la commune de Ikaria. La nécessité d'une protection contre les attaques de pirates dans l’antiquité a amené le peuple à développer une culture d'autonomie et de vie austère, ce qui a considérablement influencé la conscience et le comportement des habitants.

Pendant la dictature de 1936 et pendant la guerre civile (1946-1949) et jusqu'en 1954, Ikaria a fonctionné comme un lieu d'exil pour les opposants politiques des pouvoirs publics.

En particulier, durant cette période, la solidarité manifestée par les Icariens envers les exilés politiques était unique. Beaucoup d'intellectuels de l'époque ont été parmi les exilés d’Ikaria, tels que le compositeur Mikis Theodorakis. Le mode de vie des habitants de l'île, aujourd’hui, est considéré comme unique en Europe, en raison de leur vision plus lente du temps, de leur capacité à l'autosuffisance et aux liens forts de solidarité entre eux et d’assistance mutuelle.

Le cas de Katafygi

Dans la partie sud d'Ikaria, il y a des villages dispersés, y compris Katafygi, un village montagneux avec une population d'environ 100 habitants. La zone est d'un intérêt archéologique particulier car il y a des vestiges d'une habitation antique avec son château, ses tombes et son aqueduc. Les habitants de Katafygi s'occupent plutôt d’agriculture et de d'élevage.

Un pourcentage significatif d'entre eux ont suivi seule une éducation de base (école primaire), alors que certains villageois ne l'ont même pas achevée. L'association culturelle du village, comme c'est le cas dans d'autres villages, organise des événements culturels à l'occasion des fêtes religieuses (fêtes). Les recettes financières de ces fêtes sont employées à des fins publiques telles que l'approvisionnement en eau, l'irrigation, les routes, etc.

Les habitants de ce petit village ont acquis une culture de résistance et de revendication, puisque il y a longtemps, ils avaient réussi à empêcher, grâce à des démarches juridiques, l'établissement d'une carrière près de leur village. Dans le cas décrit ici, ils ont réagi collectivement à l'incinération des déchets.

Plus précisément, à côté du village, il y avait la décharge où se trouvaient les déchets de l'une des trois ​municipalités de l'île (Agios Kirykos - aujourd’hui tous les villages de l’île se sont regroupés en une seule municipalité), avec une population de 3.500 habitants. La décharge fonctionnait depuis environ 40 ans. La pratique habituelle de la gestion des déchets était la combustion incontrôlée.

Les villageois, par l'intermédiaire de leur association, s'étaient déjà plaints par écrit, depuis 1994, de l'incinération de déchets dans la décharge, à proximité de leurs maisons, en exprimant d’abord la crainte d'un incendie.

Dans un second temps,, ils se sont plaints de la «fumée» qui entrait dans leurs maisons. Le catalyseur pour l'émergence d'un mouvement populaire a été l'annonce des résultats d'une recherche du Laboratoire de Spectrométrie de Masse et de l'Analyse des Dioxines de l'Institut Demokritos le 22-11-2007, qui a porté sur des échantillons d'origine animale. Le rapport a établi des concentrations relativement élevées de dioxines.

Les résidents après une série d'assemblées générales de leur association ont demandé à l'autorité municipale d'arrêter immédiatement la combustion des déchets. Les négociations avec les organismes officiels ont été infructueuses (Municipalité, Préfecture, Région, etc.). A la suite de cela, les habitants prennent possession et occupent la décharge à partir du début de l'année 2008, ne permettant plus le dépôt d'ordures. Les mobilisations ont culminé avec une grande assemblée populaire sur la place centrale de la municipalité, auxquelles des résidents de toute l'île ont participé.

A cette occasion, des gens du village, sans aucune expérience préalable, ont pris la parole et exprimé leur point de vue devant un large public. Leurs plaintes portaient, en dehors des questions de santé publique très importantes, sur la protection de l'environnement naturel («la terre de leurs ancêtres»), la protection du site archéologique à l'intérieur duquel se trouvait la décharge et la critique du modèle consumériste moderne qui produit des tonnes d'ordures.

Contre cela, ils mettaient en avant le modèle traditionnel d'autosuffisance et d'austérité qui dominait sur l'île. Parmi les demandes qu'ils avaient formulé publiquement, était la mise en place d’un système de recyclage, dont la mise en œuvre par la Municipalité avait été retardée pour des raisons bureaucratiques.

Le processus d'organisation collective des habitants en vue de la résolution d'un problème si grave présente un intérêt particulier. Bien qu'il soit facile de distinguer ceux parmi des villageois qui ont joué un rôle de leader, tout le monde a reconnu -et reconnaît toujours- que les procédures de prise de décision ont été entièrement démocratiques à chacune des différentes phases de la mobilisation. Les assemblées générales de l'association étaient massives et chacun exprimait son opinion librement, quel que soit son niveau d'éducation. Pour preuve, ses paroles d’un observateur extérieur présent à cette époque sur l'île :

"Ce processus que je n'avais jamais vécu de si près. J'avais lu à ce sujet, mais je ne l'avais jamais vu auparavant. C'était une école géniale pour moi. "

Il est également très important de noter que le processus d'apprentissage s'est déroulé à différents niveaux et en dehors du cadre du système éducatif formel. Au premier niveau, la communauté a été informée des dangers des produits d'incinération des déchets, sujet sur lequel l'information étaient auparavant très déficiente. L'information sur les conséquences de la mauvaise gestion des déchets a d'abord été communiquée par téléphone ou via Internet par des spécialistes de l'Université de la Mer Égée.

La communication avec les spécialistes a été assurée par des personnes plus jeunes ayant un niveau d'éducation supérieur. Les informations pertinentes étaient communiquées aux résidents à travers des communications écrites et orales. Dans la deuxième phase, des réunions d'information ont été organisées dans le lieu des assemblées générales par des éducateurs locaux familiers de ces questions en raison de leur spécialisation (par exemple les chimistes).

Au deuxième niveau, des problèmes tels que les faiblesses - l'insuffisance de l'administration pour résoudre les problèmes importants – ont été mis en évidence. La cohérence et la solidarité entre les membres de la communauté ont augmenté, car ils se rencontraient quotidiennement pour travailler ensemble sur des questions telles que, par exemple, l'organisation matérielle de la poursuite de l'occupation de la décharge, la rédaction d'annonces, etc.

Le témoignage de l'un des plus jeunes habitants du village est caractéristique: "Il y a eu plusieurs jours dans le village [les jours de mobilisation] durant lesquels les gens se réveillaient et dormaient tous ensemble. Ils mangeaient tous ensemble, cuisinaient ensemble, ils discutaient de tout -je ne me souviens pas exactement combien de jours cela a duré- mais il y avait une vraie culture de progrès dans le village. Cela arrivait du futur. C'est pour cette raison, bien sûr, que ce processus a démontré qu'il y avait une grande puissance."

Grâce à la création de comités lors de la première assemblée générale de l'association (comme des comités de communication, de soutien à l'occupation, etc.), les villageois ont réussi à rallier autour de l'association un grand nombre de personnes venant d'autres parties de l'île, qui les ont soutenu systématiquement. Ils s'adressaient presque chaque jour aux services publics impliqués en les bombardant de documents et de plaintes (en commençant par la municipalité jusqu'au gouvernement), qui répondaient en rejetant constamment leur responsabilité les uns sur les autres.

Après de longues protestations successives et de lobbying dans toutes les directions, la Région administrative de l'Egée du Nord (à laquelle l'île de Ikaria appartient administrativement) a pris la décision de fermer la décharge à la fin de 2010.

De cette histoire importante de la création d'un mouvement environnemental à petite échelle, il y a un autre élément que l’on peut considérer comme contribuant au succès de la contestation. C'est l'élément de l'autonomisation (empowerment). L'autonomisation peut se produire au niveau individuel et / ou collectif.

La combinaison de l'autonomisation individuelle et collective en tant que processus dynamique peut conduire à une participation effective au processus politique. C'est-à-dire, le mécanisme qui relie la communauté au changement social. Grâce à un tel processus, peut être développée la capacité de résoudre des problèmes complexes tels que celui de la décharge d'Ikaria.

La participation à l'organisation communautaire, la prise de décision collective et l'action peuvent être considérés comme des processus de renforcement qui mènent à l'autonomisation.

Les participants grâce justement à l'action qu'ils développent, perçoivent de manière plus critique leur environnement sociopolitique. Dans le cas des habitants du Katafygi, il est apparu que, par une telle dynamique évolutive, des citoyens simples, au niveau éducatif de base -tout juste l'école primaire- se sont senti et ont été capables de formuler ce qui était important pour eux.

Les processus de démocratie directe auxquels ils ont participé -jusqu'alors inconnus sous cette forme par la plupart d'entre eux- leur ont permis de percevoir et d'approfondir le problème et ainsi d'essayer d'approcher sa solution. Ce qui est présenté au travers de témoignages racontant le récit de cette petite mais importante expérience des habitants d’une île de la mer Egée, offre l'exemple de quelques-unes des conditions qui amèneraient à des victoires petites ou plus grandes.

Tout au moins, c'est ce que nous laissent entendre les témoignages des participants:
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C'était pour moi la seule histoire gagnante que j'ai vécu ces dernières années. C'est une histoire qui, par sa taille, nous donne de la force à poursuivre et à comprendre ce qu'il est possible de gagner." (E. 22-12-2012) - “Le fait que Ikaria ne brûle plus ses ordures en ce moment, le fait qu'il existe un réseau de collecte initial de matériaux recyclables a été le résultat de tout ce processus. Il est clair que, s'il n'existait pas, nous serions au niveau où nous étions au début des années '90. De toute évidence, toute cette histoire nous a amenés à faire deux pas en avant.” (C. Porte-parole de la municipalité à l'époque, 8-12-2012)
- « Où apprenons-nous cela? [Je veux dire la collégialité] - Vous ne l'apprenez pas à l'école. La vie vous l'apprend. La lutte et tout le reste ... Le fait d'entrer en contact avec le monde, de s'organiser, tous ensemble, un excellent travail! (Nouveau membre de la communauté)


Cette fiche a été utilisée avec la ligne de vie présentée dans la fiche Outils d’animation pour faire une évaluation de façon participative.

Auteur de la fiche : Michalis Fotiadis, Ingénieur, Prof. du secondaire, formateur d'enseignants en service au Centre d'Education à l'Environnement de Argyroupolis, Athènes – Polis – Grèce




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